articles:book_of_hanz:concentrez-vous_sur_la_table

Concentrez-vous sur la table

Ce document est la traduction d’un article tiré de «The book of Hanz », compilation de réflexions de Robert Hanz à propos du jeu de rôle Fate. Robert Hanz a donné son aimable autorisation pour la traduction française, et la diffusion de ces contenus sous licence Créative Commons. Consultez la fin de ce document pour les détails.


Une grande partie de ma vie d'adulte a été consacrée à la conception de jeux vidéo. Sid Meier est un des grands gourous du milieu, bien que pour une raison indéterminée il soit moins reconnu que d’autres « visionnaires ». Sid Meier possède une ludographie incroyable composée de jeux fantastiques, c’est un quasi sans-faute (la raison pour laquelle il est moins « célèbre » sera peut-être le sujet d’un autre billet).

Il y a une citation attribuée à Sid Meier. Elle est peut-être mal attribuée, mais je pense qu’elle reste valable. Cette citation c’est : « Il y a trois types de jeux. Des jeux où le concepteur s'amuse, des jeux où l'ordinateur s'amuse et des jeux où le joueur s'amuse. » Et que Sid l'ait prononcé ou non, je pense que cette citation est tout à fait exacte.

Et c'est applicable aux jeux de rôle (JdR). Certains JdR sont réputés pour avoir des systèmes incroyablement complexes. Mais qui s'amuse avec ça ?

Prenons un exemple simple, et bricolons une sorte de jeu de combat très basique. A peine un JdR, si tant est que ça en soit un. Dans ce jeu, la seule action possible est l'attaque. Maintenant, imaginons qu'il en existe deux versions. Dans la première, vous n’avez qu’à lancer un d6 pour déterminer les dégâts d’une attaque. Dans l'autre, vous devez calculer toutes sortes de paramètres concernant la situation, les personnages impliqués, les armes, les armures, et détailler toutes les variables du coup, l'angle d’attaque, la pénétration d'armure, etc… pour finalement obtenir des dommages entre un et six.

Qui s'amuse dans la deuxième version ? En supposant que le joueur ait un peu de contrôle sur les paramètres qui interviennent dans la simulation, le deuxième jeu est-il différent du point de vue du joueur, à l’exception du jet de dé ? (Je reconnais que ça pourrait donner un jeu amusant de type « Deck-building », où le principal intérêt est dans la manipulation statistique, mais ce n'est pas l'objet de ce billet).

Alors, que s'est-il passé ? Le concepteur de ce jeu s'est focalisé sur la création d'une simulation très poussée (et je ne dis pas que la simulation c’est le mal, soit dit en passant évitons les débats sur le LNS , d'accord ?). Dans la langue de Sid, il a créé un jeu où l'ordinateur s'amuse tout seul.

Que ferions-nous avec ce jeu, si nous nous concentrions plutôt sur l’amusement du joueur ? Cela pourrait énormément varier selon ce que chacun entend par amusement (et c'est certainement un sujet pour un autre billet), mais il me semble évident qu’avoir une unique option, « attaquer », ne donne rien de très intéressant. Je ne suis même pas sûr que ce soit un jeu au sens propre du terme.

Personnellement, je me focaliserais sur l’approche tactique du combat. Je proposerais au joueur différentes manœuvres, et je réfléchirais à leur fonctionnement. J’ajouterais peut-être une sorte de système d'annonces secrètes pour générer de l'incertitude. Je me servirais un peu de la théorie des jeux (le genre matheux) pour trouver quelque chose qui se rapproche d'une bonne méthode de gestion des gains, et j'utiliserais le moins de calculs possible pour que les interactions à la table fonctionnent comme je le souhaite.

Ok, quel est le rapport avec Fate ? J'ai déjà écrit pas mal de mots, et rien qui se rapporte à des dés avec des faces + et - .

Un des trucs à propos de Fate en tant que système de base / générique est qu'il est fréquent de devoir procéder à certains réglages pour qu’il fonctionne avec un genre ou un univers particulier.

Et c'est là que j’en viens au fond du problème : Comment et pourquoi faites-vous des réglages ? Quelles sont vos priorités ? Comment savez-vous ce que vous devez faire?

La tendance générale, héritée de nombreuses années de pratique des JdR, est de considérer le jeu comme une espèce de simulateur de la réalité et de bidouiller un système pour gérer la façon dont tout ça s’articule. Et ça pourrait peut-être être utile.

Mais ce qui est vraiment important c'est ce qui se passe à la table, comment les joueurs interagissent avec le système, la fiction et les autres joueurs. C'est ça le véritable enjeu.

Si vous vous demandez : « Comment faire pour émuler la cybernétique dans Fate ?» C'est une bonne question. C'est aussi un exemple que je rabâche à l’occasion.

Donc, par où commencer ? On peut supposer qu'il faut une piste de stress d’humanité. Nous pouvons envisager d'ajouter ou de supprimer des conséquences ou autres. Cela semble être un bon point de départ, mais…

Ce ne sont que des questions relatives au système. Elles sont toutes axées sur la définition de mécaniques, et elles n'ont pas vraiment considéré les choses du point de vue des joueurs. On peut avoir une idée implicite de la façon dont les joueurs interagiront avec le système, mais est-ce que ça ne devrait pas être le point de départ ?

Alors, la plupart du temps, que permet une amélioration cybernétique ? Eh bien, ça vous rend « meilleur » dans un domaine… mais je ne suis pas certain que nous devions augmenter le plafond des compétences pour ça. Et puis, avoir des scores plus élevés n’est pas très intéressant.

Le truc qu’on observe habituellement avec les équipements cybernétiques c’est qu’ils provoquent une sorte de perte d'empathie, surtout à mesure que les gens deviennent plus performants. Ils peuvent aussi tomber en panne. D’un autre côté, comme ces équipements sont des machines, ils peuvent permettre de dépasser les limites humaines dans certains domaines.

Jusqu'à présent tout ceci semble bien ancré dans la fiction. Les côtés négatifs ressemblent beaucoup à des contraintes, et les côtés positifs peuvent facilement être traités comme des invocations. Et si nous voulons quelque chose de plus récurent, nous pouvons ajouter des prouesses.

Mais la question n’est pas de « mettre au point un système léger », même si avec Fate vous pouvez souvent le faire. Donnez autant de place que nécessaire à votre système. La question est de déterminer à quel point le système doit être complexe, en fonction de vos besoins.

En tant que développeur de logiciels, je suis convaincu de l’utilité de ce qu’on appelle le développement piloté par les tests (ou TDD pour Test-Driven Development). C'est horriblement mal nommé. L'idée de base du TDD est une simple séquence :

  1. Définissez à quoi ressemble un « bon fonctionnement ».
  2. Faites le fonctionner.
  3. Simplifiez-le pour le rendre élégant.


Le plus important est la première étape. Ça semble évident, mais dans bien des domaines elle est régulièrement oubliée. Si vous ne pouvez pas définir à quoi doit ressembler la « réussite », comment saurez-vous si votre travail est terminé ou satisfaisant ?

Lorsque nous bricolons les règles, nous imaginons souvent ce à quoi ressemble la « réussite », même si c'est très implicite. Et pour moi, l'idée sous-jacente à cette notion de réussite repose généralement sur quelque chose comme « donne des résultats réalistes ».

Au lieu de ça, j'ai maintenant appris à appréhender la réussite en matière de « que vont faire les joueurs à la table ?» Faire appel aux chiffres n’est généralement pas très intéressant tant que les interactions sont là. Et en faisant ça, j'ai commencé à me préoccuper de concevoir des jeux amusants pour les joueurs, et moins de règles.

Ce qui est drôle, c'est que quand vous commencez à réfléchir en matière de joueurs, il arrive souvent que vous ayez besoin de moins de règles que vous ne le pensiez. L'un des jeux les plus complexes et sophistiqués de la planète (le Go) a des règles qui peuvent tenir sur… probablement moins d'une page. En général, j'enseigne ses règles en cinq minutes.

Je me suis focalisé jusqu’à présent sur l’adaptation de règles, parce que c'est là qu’on constate les pires dérives. Mais c'est un principe utile à toute réflexion sur les JdR, et spécialement en tant que MJ : « Pour qui est-ce amusant ? »

Est-ce amusant parce que vous allez pouvoir faire étalage de votre incroyable créativité ? Réfléchissez longuement et sérieusement au rôle des joueurs ; ils ne devraient pas être de simples spectateurs (particulièrement dans Fate).

Est-ce amusant parce que c'est une modélisation mathématique complexe qui produit d'excellents résultats ? Encore une fois, pensez-y du point de vue des joueurs.

Parce que finalement, les joueurs sont la base du jeu (y compris le MJ, bien sûr). S'ils ne s'amusent pas il n’y a pas de jeu. Peu importe que le système soit amusant. Le MJ/concepteur doit aussi s'amuser bien sûr, mais pas aux dépens des joueurs.


D’après Robert Hanz «The book of Hanz »
Traduction VF par la communauté Google+ Fate Core et Fate Accéléré pour les francophones
Licence Creative Commons
Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.

  • articles/book_of_hanz/concentrez-vous_sur_la_table.txt
  • Dernière modification: 2018/04/18 10:07
  • de sioc